Les exploitations agricoles face à la crise sanitaire

légumes dans cageots en bois

Entretien avec Emmanuelle Emmel, cheffe de cultures au sein d’une exploitation maraîchère.

Cultures et Compagnies a pu échanger avec Emmanuelle Emmel qui allie plusieurs activités : encadrante technique sur le Jardin de Cocagne des Pousses d’avenir, mais aussi en tant qu’indépendante, conceptrice de paysages nourriciers inspirés des principes permacoles et formatrice autour de la cueillette sauvage. Elle nous a présenté son activité et notamment les impacts de la crise sanitaire actuelle sur le fonctionnement de l’exploitation maraîchère. Emmanuelle a également partagé ses ressentis sur l’évolution de la production et de la consommation après cette crise sanitaire du Covid-19 et la nécessaire prise de conscience relative à l’importance des systèmes agricoles durables au sein de nos sociétés.

photo d'emmanuelle emmel

© Emmanuelle Emmel

Le Jardin de Cocagne des Pousses d’avenir : qu’est-ce que c’est ?

« Le Jardin de Cocagne n’a pas pour principal but de produire, mais de permettre à des personnes de retrouver le chemin de l’emploi. »

Emmanuelle Emmel travaille en tant que cheffe de cultures au sein du Jardin de Cocagne des Pousses d’avenir, une ferme maraîchère biologique aux abords du lac Léman, servant de dispositif d’insertion professionnelle. En effet, ce Jardin de Cocagne a pour vocation principale de permettre à divers publics fragilisés de retrouver le chemin de l’emploi en les impliquant dans des activités maraîchères.

« Sur la ferme, nous cultivons une grande diversité d’espèces potagères en respectant la saisonnalité et dans le but d’une distribution locale. »

Sur ses deux sites, regroupant 2,5 hectares de serres et la même surface en plein champ, le tout labellisé biologique, l’exploitation maraîchère peut mobiliser jusqu’à 26 ETP (Equivalent Temps Plein) dont une 20aine de personnes en insertion. Emmanuelle et l’ensemble des 3 encadrants techniques s’assurent de la bonne conduite des cultures : du semis à la récolte, en passant par l’entretien des parcelles. Les produits issus du jardin sont valorisés grâce à 250 paniers distribués aux adhérents, mais aussi au sein du magasin de la ferme et d’autres magasins bio du territoire.

serres agricoles

© Pousses d'Avenir

Quels sont les impacts de la crise sanitaire sur le fonctionnement de l’exploitation ?

« Nous avons été obligés de mettre des salariés au chômage car il était compliqué d’appliquer les gestes barrières dans le quotidien du travail. »

La pression de la crise sanitaire actuelle n’a pas épargné le jardin des Pousses d’avenir. En effet, pour préserver les salariés, l’exploitation a été obligée de mettre au chômage une partie des employés en insertion. Cependant, à la fin de l’hiver au jardin il faut : préparer le sol pour les futures cultures, semer, transplanter et veiller au bon développement des plantes potagères qui seront cultivées dans les mois à venir (tomates, certaines courges et légumineuses, …)... Il y a donc encore du travail.

« A ce jour, les objectifs sont de pouvoir préparer et assurer une bonne production au printemps et à l’été même si les effectifs sont bien plus faibles. »

Il a donc fallu intensifier le rythme pour les trois encadrants techniques qui sont impliqués sur de plus gros volumes horaires et de manière plus systématique les week-ends. Cinq salariés en réinsertion se sont également portés volontaires pour aider les permanents au bon fonctionnement de la ferme en ce début de printemps. Les exploitants peuvent compter sur le support des adhérents mais aussi des locaux qui leur envoient des messages de soutien ; une preuve de la sensibilité de certaines personnes à l’égard d’un secteur agricole souvent décrié mais pourtant essentiel à la résilience de nos sociétés ….

« A l’annonce du confinement, les demandes des magasins bio étaient importantes même pour les légumes qui se vendent moins bien d’habitude comme les navets et les cardons. »

L’organisation de la distribution et de la vente de la production des jardins des Pousses d’avenir a été complètement repensée pendant cette crise. La commercialisation de paniers n’est plus assurée à cause du manque de personnel et des problèmes logistiques. Les produits de l’exploitation maraîchère sont par conséquent vendus aux magasins bio locaux. La demande des commerces bio a explosé à l’annonce du confinement, un moment où les consommateurs se sont mis à faire des stocks disproportionnés même pour des légumes d’hiver (navets, cardons) qui ont peu la cote en temps normal. A ce jour, la demande est moins importante et la ferme réussit à répondre aux besoins. Emmanuelle nous confie que le Jardin de Cocagne pense revoir sa méthode de distribution dans un souci de réponse aux différents besoins, si la crise sanitaire perdure sur le moyen voire le long-terme.

légumes dans cageots en bois

Quelles seront les conclusions d’après-crise pour le secteur agricole ?

« Il ne faut pas oublier l’importance des systèmes de production alimentaire locaux. Ils permettent de dynamiser les territoires et de répondre à des enjeux environnementaux, sociaux et économiques. »

La déclaration récente sur l’arrêt des marchés de producteurs locaux et l’autoroute médiatique pour les grands groupes de distribution alimentaire pose question sur la résilience de nos systèmes alimentaires. Est-ce logique d’interdire des marchés (espaces non confinés) qui permettent de valoriser des produits alimentaires locaux, sains et de saison auprès de consommateurs qui affluent en bien moins grand nombre qu’en grandes surfaces ? Les grands groupes de distribution assurent pouvoir répondent aux besoins alimentaires, tant mieux, mais jusqu’à quand ? Ces grands groupes passent par de nombreux intermédiaires indépendants des fournisseurs alimentaires (emballage, transport, …) qui eux peuvent présenter leurs limites sur le court-terme. Pour favoriser la résilience sociétale et alimentaire, il paraît donc logique de relocaliser les systèmes alimentaires et de favoriser la consommation de produits bruts et locaux.

« Ma crainte après cette crise est de tomber dans une logique inverse. C’est-à-dire une intensification des systèmes de productions et de distribution à grande échelle permettant seulement de répondre à la pression économique toujours plus grande … »

Nous formons l’espoir que l’après–crise reflète la volonté des citoyens de s’engager vers des circuits courts permettant de valoriser au mieux le tissu de producteurs locaux. Mais le pouvoir réel de décision n’est-il pas entre les mains des consommateurs ?

Un grand merci à Emmanuelle et au Jardin de Cocagne des Pousses d’avenir 

La Bennaz, 35 impasse des jardins, 74500 Publier.

https://www.poussesdavenir.fr

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