L'agriculture de conservation, une nouvelle voie d'agriculture durable ?

paillage du sol

« Les vers de terre s'enfoncent dans le sol pour ne pas tomber amoureux des étoiles. »

Ainsi s’exprime Yvan Audouard, regardant le ciel avec fascination. Mais lorsque que l’on baisse la tête pour observer le sol, on s’aperçoit que le grand mérite des vers de terre n’est pas de s’écarter du charme mystérieux des étoiles, mais bien d’être le gardien impassible de la santé des sols. Les vers de terre sont, par leurs multiples actions1, des ouvriers extrêmement importants pour la santé de la terre ; par leur présence, un indicateur fiable de la qualité des sols. En bref, un sol en bonne santé est un sol qui accueille des vers de terre. Ces petits soldats sont par leur activité, le symbole même de l'agriculture de conservation des sols.

Nous vous avions présenté dans un précédent article la complexité de l’organisation des sols et l’importance que revêtait la complémentarité et la stabilité des symbioses entre ses acteurs. Il est extrêmement important pour les agriculteurs de conserver au mieux ces structures pour garder un sol vivace et productif. Cependant, il a été prouvé que de nombreuses pratiques courantes dans le paysage agricole européen mettent en danger la santé des sols et perturbent leurs structures et leurs habitants (dont nos chers vers de terre).

Il devient alors primordial de s’intéresser à d’autres modes de cultures soignant la santé des sols, tout en assurant une production répondant à nos besoins. L’agriculture de conservation des sols (ACS) se présente comme une alternative pouvant atteindre cet équilibre productivité-enjeux environnementaux.

Et l'agriculture bio dans tout ça ?

L’agriculture biologique (AB) n’utilise ni pesticides ni engrais de synthèse, avec tous les bénéfices environnementaux et économiques que cela peut entraîner. Cependant, pour les systèmes en grandes cultures, elle s’appuie sur un travail mécanique du sol (notamment pour lutter contre les adventices aux effets négatifs sur les cultures). L’utilisation d’outils mécaniques et un travail profond du sol impactent beaucoup les écosystèmes. En retournant la terre, les structures sont détruites, les symbioses créées sont détériorés, stoppant les dynamiques du sol et empêchant sa régénération.

Face à cela, l'ACS apparait comme une nouvelle voie de production, fondée sur des pratiques respectueuses du sol.

Graphique demontrant l'impact du travail du sol sur les vers de Terre

Graphique demontrant l'impact du travail du sol sur les vers de Terre

Graphique présentant l’impact négatif du travail du sol sur les différents groupes de vers de terre

Graphique présentant l’impact négatif du travail du sol sur les différents groupes de vers de terre (Anéciques, Endogés, Épigés, Juvéniles, Total) - Crédits Nathan Rondeau

Les trois grands principes de l'ACS

L’ACS s’appuie sur trois grands principes [2] afin de préserver et améliorer la qualité des sols :

  • L’utilisation de couverts végétaux : les couverts végétaux sont le B.A-ba de l’agriculture de conservation. Ils permettent, d’une part, de limiter la pression des adventices en couvrant tout ou partie du sol, et d’autre part sont une source de matière organique favorable à la dynamique biogéochimique.

  • La diversification des rotations : l’ACS se distingue notamment par des rotations de culture longues et très variées. Cette diversification est, pour l’agriculteur, un atout économique important. Elle lui permet en effet de proposer un panel de fruits et légumes divers et très complémentaires et donc de s’adapter à différentes demandes commerciales. La diversité des cultures empêche les ravageurs, maladies, adventices [3] de s'habituer à un type unique de culture et gêne donc grandement leur propagation !

Semis direct sous couvert végétal, pratique de l'agriculture de conservation

Semis direct sous couvert végétal, pratique de l'agriculture de conservation - crédits DR

  • La réduction voire l’absence de travail de sol : comme nous l’avons dit précédemment, le travail mécanique du sol est une pratique destructrice et peu résiliente. Pour s’en émanciper, l'ACS se base sur l’implantation directe de nouvelles cultures dans les résidus de la culture précédente ou du couvert végétal : le semis direct. Elle laisse ainsi de la biomasse végétale sur la parcelle, lui amenant nutriments et éléments propices au bien-être de ses écosystèmes.

Une forme alternative d'agriculture qui répond positivement aux piliers de la durabilité

La grande complémentarité de ces trois principes favorise la durabilité (sociale, économique et environnementale) et la résilience des systèmes agricoles en agriculture de conservation. Ainsi plusieurs avantages peuvent être évoqués sur l’agriculture de conservations des sols :

  • Ecologique : prônant une faible utilisation d’outils mécaniques, l’ACS réduit significativement la consommation d’énergie fossile et d’émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, elle répond même positivement aux enjeux carbone grâce à son stockage de carbone pouvant aller jusqu’à 1,8 T équivalent C.ha-1.an-1 (tonne/ha/an), conséquence de la couverture permanente des sols. A l’inverse, le labour émet du carbone.

  • Social : l’ACS réduit le temps passé sur l’ensemble des travaux de sol et offre donc à l’agriculteur un emploi du temps moins lourd que d’autres systèmes. Cependant, ce genre de pratiques oblige une surveillance plus importante des cultures.

  • Économique : la diversification des cultures, la consommation d’énergie moindre mais aussi l’optimisation des services écosystémiques associés au bon fonctionnement du sol (rétention d’eau, valorisation des matières organiques, biologie des sols…) permet d’améliorer la productivité globale du système.

Le verre de terre, indicateur important de l'agriculture de conservation -

Le verre de terre, indicateur important de l'agriculture de conservation - Engrais verts en grande culture au Québec - Crédits Nathan Rondeau

Son impact sur la biodiversité des sols

Cette pratique est notamment reconnue pour sa capacité à préserver la santé des sols. Par ses principes, elle assure la bonne santé des cultures, stabilise les sols et limite leur érosion. Elle est aussi avantageuse pour la rétention de l’eau, et permet d’optimiser la gestion de l’azote.

Ce n’est pas tout ! Les pratiques de conservation présentent de grands bénéfices pour la biologie des sols et génèrent un milieu optimal pour le bon développement des organismes du sols et notamment celui des vers de terres [4] (apports de matière organique et absence de perturbations physiques) !

Pour preuve de leurs bienfaits, on a observé que les systèmes appliquant du semis direct abritent une plus grande quantité et diversité de mycorhizes (association symbiotique entre plantes et champignons) que le système de labour. Selon plusieurs études, tous ces éléments - mycorhizes, vers de terres, microorganismes et autres acteurs du sol…- doivent être au centre de l’attention des agriculteurs de conservation, tant leur impact sur la biodisponibilité de certains oligoéléments (indispensable au bien-être des plantes) est important [5].

Poids des pratiques agricoles de conservation sur les populations de vers de terre

Poids des pratiques agricoles de conservation sur les populations de vers de terre

Par son essence même (conserver la santé des sols), l’agriculture de conservation des sols se présente comme une agriculture au potentiel écologique et durable certain. Cependant, l’impératif productif et productiviste pousse les partisans de l’ACS à conserver dans leurs pratiques, l’utilisation de certains produits phytosanitaires. Ceux-ci ne représentent-ils pas pourtant un danger pour les sols et pour la santé des agriculteurs ? 

Comment réussir à lier impératifs durable, sanitaire et le besoin économique de rendements autour de l’agriculture ? Ce sera le thème de la seconde partie de cet article. Ne le ratez pas le mois prochain !

[1] O. Ménard, Colloque en agroenvironnement « Des outils d’intervention à notre échelle » 2005 – Les ouvriers du sol et les pratiques agricoles de conservation.

[2] N. Schaller, Ministère de l’agriculture, Analyse n°61, 09/2013 – L’agriculture de conservation

[3] D. Bodiou, TCS n°46, 2008 – M. Wenz : Une gestion positive des adventices.

[4] B. Leclerc, C. Aubert, A. Coulombel et U. Schreier, Alter Agri n°82, 2007 – M. et F. Wenz : 25 ans en non-labour ! Préserver le sol et réduire le temps de travail.

[5] C. Maurer et al., Recherche agronomique suisse 5, 2014 – Diversité des champignons mycorhiziens arbusculaires sous semis direct et sous labour.

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