Dans les coulisses des produits bio en supermarchés
Dans notre dernier article, on a essayé de décrypter ce qui se cache derrière les nombreux labels encadrant l’agriculture bio - on espère que cela vous a un peu aidé pour faire vos courses ! Cette semaine, on continue à s’intéresser à l’envolée et à la démocratisation des produits bio, en se penchant sur leur origine et le rôle qu’y joue la grande distribution. C’est parti !
A l’origine, les produits bio ne se vendaient qu’en magasin spécialisé. Ce n’est qu’en 1992 que Carrefour a commencé à en proposer sur ses rayons, se lançant alors dans ce qui était perçu comme un marché de niche. Puis, à partir de 2008, face à l’engouement de plus en plus fort des consommateurs pour les produits bio, la grande distribution décida de développer fortement ce secteur, en axant sa stratégie de communication autour du slogan “Le bio pas cher et accessible à tous”. Cette stratégie de la grande distribution fut efficace puisque les grandes surfaces concentrent aujourd’hui 43 % du chiffre d’affaire du bio [1]. Mais à quel prix cette conquête du marché s’est-elle faite ?
Le bio, un modèle très rentable
Pour vendre ses produits bio moins cher que les magasins spécialisés, la grande distribution calque son organisation sur le modèle de l’agriculture conventionnelle, avec à la clé :
Des techniques de production appliquant a minima le cahier des charges européen d’agriculture bio - monoculture, spécialisation de bassins de production comme par exemple la région d’Alméria pour les légumes à ratatouille, culture hors saison, utilisation d’engrais, etc. Aujourd’hui, une partie importante des terres déclarées biologiques dans le monde est constituée de grandes exploitations spécialisées dans des monocultures d’exportation : soja, huile de palme, blé, quinoa, etc.
Des achats via des intermédiaires ou des centrales d’achat mettant les producteurs en concurrence et poussant les prix à la baisse;
Des importations de denrées depuis des pays où le foncier et la main d’oeuvre sont peu coûteux, comme par exemple l’Espagne, l’Italie ou le Maroc [1] : 35 % des produits bio consommés en France ne sont pas d'origine française et ce pourcentage monte même à 60 % pour les fruits et légumes.
On le voit : les acteurs de la grande distribution se sont lancés sur le marché du bio non par souci de préservation de la biodiversité et de justice sociale, mais avant tout parce qu’il représentait un marché prometteur, susceptible de générer de nouveaux profits. Comme le révèle une étude du magazine Que Choisir [2], en 2019, la grande distribution réalise des marges en moyenne 75 % plus élevées sur ses produits bio par rapport à ses produits conventionnels.
C'est pour cela qu'il est important de connaître et de se renseigner sur le parcours réel des produits bio que nous trouvons dans les rayons de nos supermarchés. Ceci d’autant plus que les grandes surfaces, puisqu’elles vendent à la fois des produits conventionnels et bio, sont obligées d’emballer ces derniers afin d'éviter les mélanges ou la contamination par les produits phytosanitaires ou nettoyants. C’est la raison pour laquelle les fruits et légumes bio sont souvent étouffés dans du plastique et reposent sur une barquette de polystyrène sur les étals des grandes surfaces [3] !
Les multinationales, acteurs de l'ombre
Mais l’industrialisation de l’agriculture biologique n’est pourtant pas que le fait de la grande distribution. Elle est également liée aux intérêts économiques de grandes multinationales. En effet, un certain nombre de marques de produits biologiques sont détenues par de grands groupes de l’industrie agro-alimentaire. Par exemple, Lima et Danival, en France, sont possédées par Hain Celestial, un grand groupe américain. De même, les marques Bjork et Bonneterre sont en réalité la propriété de Royal Wessanen, géant européen de l’agro-alimentaire bio. Il est ainsi difficile pour le consommateur de s'y retrouver et d'y voir clair dans ce labyrinthe de collaborations, d'appartenances et d'ingérences entre les différents groupes qui se tiennent derrière les produits bio - de leur origine à leur distribution. Par exemple, le groupe états-uniens Hail Celestial partage le même fond d'investissements (Vanguard) que Monsanto, Philipp Moris et Walmart [4], qui ne sont pas pourtant pas réputés pour leurs efforts écologiques et sanitaires . Cette opacité, cette distance, entre les acteurs impliqués dans l'origine du produit et le produit bio en lui-même oblige le consommateur à se questionner. Que recherchons nous en achetant bio dans les supermarchés ? Un produit bon pour notre santé ou bien un produit dont le parcours entier, de sa conception à sa distribution, est motivé par des exigences éthiques et environnementales ?
Quelles sont les alternatives ?
Pour autant, d’autres réseaux de distribution des produits bio existent et garantissent une plus grande qualité écologique, sociale et éthique des produits : les Amap, les groupements d’achat, les boutiques de vente directe, les magasins spécialisés aux chartes exigeantes. Par exemple, le réseau des Biocoop garantit un revenu juste à ses producteurs en limitant ses marges, refuse de vendre des produits hors saison et d’importer des denrées par avion. Mentionnons aussi la marque “C’est qui le patron”, qui permet aux consommateurs de se rassembler et de créer collectivement un cahier des charges de production, fabrication et commercialisation de produits. Une telle démarche, si elle ne se limite pas au label bio, permet néanmoins aux consommateurs de mieux discerner l'origine de leurs produits et ainsi retrouver une certaine souveraineté dans le choix de leurs produits . Soyons inventifs donc, et renouons avec des façons de consommer historiques - en effet la première grande surface en France ne date que de 1949 !
Sources :
[1] : Baqué, P. (dir.), La Bio entre business et projet de société, Contre-feux, Agone, 2012
[2] : “Sur-marges sur les fruits et légumes bio : la grande distribution matraque toujours les consommateurs !”, Que Choisir, 22.08.2019
[3] : Gonzague, A., “Mais pourquoi mettre du plastique sur les fruits et légumes bio?”, L’Obs, 2018
[4] : Guillet, D. “La Bio piratée”, essai publié sur le blog de Kokopelli, 2014